Peter Lindbergh

Peter Lindbergh est un des photographes les plus appréciés de la planète mode, et sûrement un des plus recherchés. Il appartient à une confrérie de photographes stars, une dizaine tout au plus, maîtres-façonneurs d'images de mode. Le "truc" de Peter Lindbergh, mis à part sa science du noir et blanc qui cisèle ses sujets aussi sûrement qu'un Von Sternberg sculptant le visage de Marlène ou qu'un Orson Welles éclairant sa Lady from Shanghaï, c'est que dans ses photos on y voit d'abord les femmes. La mode n'y joue jamais le rôle principal. Le thème central en est toujours la femme. Ce n'est pas les vêtements, ni sa patte, ni le décor, ni le maquillage ou les coiffures, c'est les femmes avant toute chose. Et quand il demande à Catherine Deneuve d'apparaître sans maquillage sur la couverture de Vogue, c'est pour qu'on profite encore davantage de son extraordinaire beauté. Sa vision de la femme reste éternellement actuelle, intemporelle.

La photo et la mode ne lui sont pas montées à la tête, et cela n'est pas si étonnant quand il avoue qu'il y est venu par hasard. Né dans la partie polonaise de l'ex-Allemagne de l'Est, en 1944, il en gardera des images violemment contrastées ; des bords du Rhin d'une langoureuse verdoyance sur une rive, alors que sur l'autre s'élevaient des masses compactes d'usines.

Plus tard, il a l'idée de devenir peintre, alors il s'inscrit aux Beaux Arts et puis il arrête pour voyager, se balader. Il revient en Allemagne avec des idées de sculptures et fait sa première expo en 1969 à Düsseldorf. A l'époque, il signe ses oeuvres du nom de Sultan. Il a presque trente ans quand il empoigne un appareil photo pour gagner sa vie dans la publicité. C'est à l'hebdomadaire Stern, qu'on doit la première série de mode de Lindbergh. Fin des années 1970 : Peter Lindbergh arrive à Paris pour y mener la carrière qu'on lui connaît aujourd'hui.  

Pourtant, malgré ce statut de photographe star, Peter Lindbergh ne s'en vante pas. La caractéristique essentielle de ce photographe au sourire immense n'est certainement pas un excès d'auto-satisfaction. Et, si aujourd'hui de nombreux livres sortent, rassemblant les photos de ces dernières années, c'est d'abord parce qu'il a cédé à son éditeur qui le harcelait depuis un moment. Même s'il reconnaît qu'il en est maintenant très content (Peter Lindbergh, 10 Women par Peter Lindbergh).

Karl Lagerfeld dit à propos de Peter, "la photographie est aujourd'hui un art au sens le plus fort. Notre époque est pressée par le temps, il faut pouvoir exprimer sa vision du monde en une fraction de seconde. Rares sont ceux qui ont réussi de manière aussi forte et définitive que Peter Lindbergh".

Peter

Lindbergh

Une interview, réalisée dans le magazine Mixte (n°3) de l'automne 1997, dévoile un Peter Lindbergh réaliste sur son métier de photographe. Sa réflexion critique et incisive sur le monde de la mode ne lui donne que plus de crédit et de valeur.

MIXT(E) : Comment définir le métier de Peter Lindbergh : photographe ou photographe de mode ?

PL : Photographe de mode, c'est cela mon métier. Je sais que nombreux sont ceux qui refusent cette étiquette. C'est compréhensible, 98% des photos de mode sont nulles.

MIXT(E) : Artiste ?

PL : Ce qualificatif-là, sincèrement je m'en fous. C'est un autre débat, les photographes sont-ils des artistes ? Oui, comme d'autres à partir du moment où on peut qualifier leur travail d'intéressant. Mais je ne vois pas pourquoi seraient autorisés à prétendre au titre d'artiste les seuls peintres, musiciens ou sculpteurs. Un peintre nul n'est pas un artiste à mes yeux. De même qu'un photographe qui n'a travaillé que pour des catalogues.

MIXT(E) : Pourquoi sortir un livre maintenant ?

PL : D'abord pour céder à mon éditeur qui me tannait depuis longtemps. Mais en fait, j'en suis ravi parce que faire ce livre m'a appris beaucoup de choses sur moi. Je me faisais presque une règle de ne jamais revenir en arrière et de ne jamais replonger dans mes anciennes photos. Pourtant, j'ai été saisi d'un immense plaisir en fouillant dans mes vieilles photos. J'avais oublié tant de choses. Curieusement je les regardais comme si elles appartenaient à un autre, comme si j'étais extérieur à cette personne qui s'appelle Peter Lindbergh. Et... en tant qu'observateur neutre, j'ai trouvé que son travail était vraiment bon, que tout ce bordel qu'on faisait autour de Lindbergh avait une raison.

MIXT(E) : Qu'est-ce que vous avez retenu de ces fouilles, et que vous ont-elles appris sur votre métier ?

PL : Dans le quotidien on ne réfléchit pas sur le long terme, on pense à la prochaine série, à l'idée qu'il faudrait trouver, mais on perd la vision globale de ce qu'on fait. Je me suis dit que la page était tournée et que je ne reviendrai jamais plus sur ces dix ans.

MIXT(E) : Est-ce qu'il y a un style Peter Lindbergh ?

PL : Je n'en sais rien, à vous de me le dire. Je suis toujours étonné quand on me dit que mes photos sont tellement reconnaissables. Moi, je ne vois qu'un vague truc qui traîne dans les photos, une façon de voir les femmes, mais qu'on peut difficilement qualifier de style. Le fil rouge de mon travail c'est peut-être le moins de maquillage possible, j'essaye de ne pas m'enfermer.

MIXT(E) : Il y a ce noir et blanc, une de vos signatures ?

PL : Alors là c'est très simple : je travaille en noir en blanc, quand j'ai le choix, parce que j'y suis meilleur. Mes photos ont plus de personnalité. J'aime la façon dont la lumière du noir et blanc sculpte les visages.

MIXT(E) : Celte lumière si caractéristique de certaines de vos photos est souvent évocatrice des films des années 1930, le tandem Marlene/Von Sternberg, mais, aussi Fritz Lang...

PL : Metropolis a été l'un de mes films favoris pendant des années.

MIXT(E) : C'est de là que vient ce goût des fonds de machines ou de structures métalliques ?

PL : Oui bien sûr, quand je prenais des photos dans une vieille usine je pensais à Lang. Mais ça m'est passé, moi j'aime ne pas avoir de fond. Ce que j'aime le plus, c'est la plage ou le désert, des fonds qui ne racontent pas d'histoire et sur lesquels justement on peut tout raconter, tout se permettre. Ou en studio.

MIXT(E) : Qu'est-ce qui nourrit votre imagination de photographe ?

PL : Tout et rien. Dans un journal chez le dentiste, je suis tombé sur l'affaire Roswell qui m'a donné l'idée d'une série qui raconterait une histoire d'amour dans le désert entre une fille et un extra-terrestre. Longtemps, il m'a fallu le support d'une idée forte, d'une histoire à raconter pour construire une série de mode. Quand vous avez vingt pages de photo, il faut leur donner une raison d'exister. Maintenant, mon travail est plus abstrait : avec les filles, les vêtements et les idées, on s'est toujours débrouillés pour faire de la mode. La norme pour un journal de mode, c'est plutôt l'inverse, le photographe va dans le sens de ce qu'on lui donne.

MIXT(E) : Depuis le temps que vous travaillez dans la mode, comment voyez-vous l'évolution de la presse de mode ?

PL : Ca dépend des journaux, mais dans l'ensemble je me rends compte qu'il y a de moins en moins de lieux où je peux encore être l'enfant terrible que j'étais. La consigne aujourd'hui c'est d'être sage, c'est le cas par exemple avec le Vogue américain. Pas avec le Vogue Italie qui est plus pointu. Mais ça m'amuse aussi de faire des photos plus "straight", c'est un exercice de style, d'une certaine manière. En tout cas, je l'assume promener sous prétexte que les contraintes commerciales freinent mon élan d'artiste. Quand j'accepte quelque chose, je le mène jusqu'au bout en essayant de me tromper le moins possible. Le problème aujourd'hui, c'est que les journaux de mode fonctionnent tous plus ou moins sur le même système : ratisser large. Ce qui ne laisse plus beaucoup de place à des photos très personnelles. Il y a quinze ans, on pouvait s'amuser dans certains journaux, je pense à Marie-Claire qui publiait à l'époque des choses assez pointues en matière de photos. Maintenant, c'est terminé.

MIXT(E) : Qu'est-ce que vous inspire la photo de mode aujourd'hui ?

PL : Nous sommes dans une époque qui patine, qui attend quelque chose. J'aime la réaction de ces anglais qui ont tenté d'éviter la beauté. Le seul problème c'est qu'on ne peut pas forcer la réalité et le résultat c'est que leurs photos offrent une vision aussi fausse, aussi trichée, que la beauté selon Revlon. Ce n'est pas très profond comme réflexion, mais c'est une réaction, un signe de bonne santé, même si ça n'est pas très réussi.

MIXT(E) : Vous avez aussi photographié quelques grandes femmes telles que Deneuve, Tina Turner,... comment les choisissez-vous ?

PL : Tout simplement parce qu'un journal me le propose. Et je regrette qu'on ne me le propose pas plus souvent. Je viens juste de terminer un petit livre sur Tina Turner qui sera vendu en Allemagne au profit de la lutte contre le sida. Il faut faire très attention quand on photographie ces célébrités de ne pas tomber dans le piège de la photo de stars où la photo passe avant la star. De toutes celles que j'ai photographiées, je crois que Gena Rowlands est celle qui m'a le plus impressionné et pas seulement en tant que photographe.

MIXT(E) : Comment êtes-vous arrivé dans ce métier ?

PL : Tout simplement, en travaillant comme l'assistant d'un grand photographe allemand qui s'appelle Hans Lux. Avouez que ça ne s'invente pas comme nom ! Avant ça j'ai fait les Beaux-Arts dans l'idée de devenir peintre. Ce que je suis devenu. Je faisais des expos et on peut dire que ça marchait bien. Et puis, je n'ai plus eu envie, ça ne me disait plus rien. A l'époque, je réalisais de gros objets en alu qu'on pouvait transformer, et j'avais appelé ça la théorie de la permutation. J'avais dans la tête de faire de l'art social que tout le monde pouvait partager. J'ai poussé ce souci de l'abstraction jusqu'à confier à un type de chez IBM la tâche de calculer toutes les possibilités de jeu entre quatre carrés et un cercle. Et puis, je me suis dit l'art ça ne sert à rien. La photo c'est un produit simple, brut et commercial qui a pour but de faire vendre des vêtements et des journaux. Et un jour, si je veux, je pourrais toujours me réfugier derrière le statut d'artiste.

Peter Lindbergh est représenté mondialement par l'agence Filomeno.

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