Balenciaga
Automne/Hiver 2023/2024
par Demna Gvasalia
Cette
présentation Balenciaga apparait comme le défilé charnière. Le tiret entre
un "avant" et "après" crise médiatique. Ce simple line-up immaculé, composées
de deux lignes de néons, épure ce podium à souhait. Un lieu virginal insufflant
une Aura presque chirurgicale. Cette blancheur éblouit complètement le regard.
Elle parait être comme un lieu immatériel qui permettra de décortiquer au
mieux cette présentation Automne/Hiver 2023/2024. Afin de donner le focus
exclusivement aux vêtements. Balenciaga souhaite surtout repositionner l'image
maison et remettre ses compteurs à zéro. Notamment, après le déluge de scandales
que la maison a du affronter suite aux campagnes publicitaires l'accusant
de faire la promotion de la pédocriminalité. La marque a été vilipendée
par des images exposant un jeune enfant sur un lit embrassant un nounours,
arborant le fameux harnais que l'on entrevoit dans les scènes de sexe débridé
sado-maso Gay. La campagne publicitaire suivante, consacrée aux accessoires
et sacs, montre subrepticement un texte, déposé sur un bureau, qui, une
fois agrandi à la loupe, ferait l'apologie de la pédophilie. Ce qui a déclenché
les foudres des associations familiales mais aussi des milieux complotistes
américains qui ont engendré un boycott puissant de la marque dans l'ensemble
des pays anglo-saxons. Après cette avalanche médiatique, catastrophique,
pour la maison Balenciaga, on conçoit que Demna Gvasalia a ambitionné recentrer
la marque vers un concept plus minimalisme, plus simple. Plus conformiste
et consensuel aussi. Il faut apaiser la sphère médiatique afin de tenter
redorer le blason maison avec ce qu'il sait mieux faire : les vêtements.
Une faute de communication ne pardonne pas et se traduit instantanément
par un manque à gagner chiffré en millions d'euros. Une faute de style ne
reste bien souvent qu'affaire de goût. Alors, il est temps de revenir aux
basiques. De séduire à nouveau la clientèle "égarée". Demna Gvasalia est
revenu vers ses fondamentaux en proposant pour les dix-huit premières silhouettes,
des looks complètement sombres. Presque en noir absolu. Une veste smoking
oversize ; une jupe longue dont les passements de la taille recouvre la
place de l'ourlet. L'envers devient l'endroit ; Les mains disparaissent
sous des manches toujours plus élancées. Un effet block pour des silhouettes
mastoc. Le trench se noue à la taille solidement. Toujours avec cet effet
conceptuel des passants de ceinture à l'envers, qui somme toute parsème
de nombreuses pièces de la collection. La version du trench en cuir, effet
écailles de serpent, se teint d'un charmant lie-de-vin chatoyant. Le blouson
en cuir de " loulou " empoigne la forme d'un quadrilatère. Le pantalon en
Denim se double de jambières frontales qui l'animent d'impulsions vibrantes.
La robe, col en V, demeure à la fois chasuble mais aussi manteau. On perçoit
nettement le pragmatisme dans la vision de Demna Gvasalia du vêtement. Il
y a une réelle volonté d'aller à l'essentiel. Vers la praticité uniquement.
Sans être péjoratif, la collection est absolument commerciale. Une robe
"Madame", anthracite, se délecte de quelques plissés à l'épaule. Une autre,
col en V, couleur chamois, drape l'ensemble du tissu faisant penser à l'imaginaire
de Madame Grès. Toutefois avec un jeu de construction à l'épaule droite
captivant. Une dernière, de tonalité gris souris, se dote d'un col cheminé
retroussé par un nouage type Lavallière. En version blanche, elle inspire
l'idée presque du sacrée. De la pureté. Demna Gvasalia a focalisé son envie
sur le bâtit stylistique des épaules allant jusqu'à les faire fusionner
avec la tête chez l'homme; et faire disparaitre l'ensemble du cou. Comme
sur le blouson de cuir "Motard", la doudoune cintrée ou le sweater à capuche
immaculée. Le jogging en cachemire mastic bleu Klein ou nuit, toujours chez
l'homme, se porte près du corps laissant percevoir de jolies formes corporelles.
Quand ce dernier ne se raccourci pas en micro short. Avec des bottes de
motards. Chez la femme, ce sont les chemisiers plissés, en mousseline, dont
les épaules se parent de lignes rectilignes. C'est droit, à point c'est
tout. Des imprimés floraux, cher au créateur, font leur come-back, comme
aperçu dans la collection prêt-à-porter Printemps/Eté 2017. Celle-ci vient
adoucir une robe plissée, fédérée par une tonalité amande. Même si ces dernières
s'évasent et se font amples, il y a un contraste saisissant avec le haut
du corps, plutôt guindé. Un manteau en simili fourrure de vison beige, ou
pétrole, se noue à la taille par un léger ruban en grain blanc. Chic et
consensuel. Demna Gvasalia a performé dans les dernières silhouettes, celles
qui clôturent le show. Elles apparaissent taillées sur mesure avec des excroissances
toute en rondeur aux épaules. Elles sculptent le corps tels des chutes d'eau.
Ces robes glissent sur la silhouette d'un seul trait pour les rendre encore
plus extraordinaires. Une robe en mousseline anthracite se pare de vagues
de strass diamant instaurant des dentelles organiques. Avec l'élégant nœud
de satin autour de la taille. Une seconde, inévitablement doublé d'une mousseline
chair, dévoile et démultiplie, à intervalles régulier, des tatouages d'une
fleur au gout pétrole. Des linéaires de strass diamant en couvrent une suivante.
La dernière étant composée d'une rivière de filins de perles tubulaires
jais. De la pure couture. La force de Demna Gvasalia réside dans sa faculté
inhérente de composer des looks street wear, presque parfois un peu trop
littéral à mon goût, tout en les alternant avec des silhouettes dignes des
meilleurs looks Couture. Alors, ne peut-on pas tout simplement conclure
que c'est en ces termes que demeure l'excellence d'un prêt-à-porter ?
YG
Balenciaga
Automne/Hiver
2023/2024
YG
YG
Bottega
Veneta Automne/Hiver 2023/2024
par Mathieu Blazy
Pour
sa troisième collection de prêt-à-porter féminin et masculin pour la maison
Bottega Veneta, Mathieu Blazy poursuit son chemin vers l'idée incontestable
d'un certain calme, luxe et volupté. Simplement parce que ce trio de vocables
détermine remarquablement bien l'univers qu'il accroît pour cette maison
italienne, réputée pour son savoir-faire des peaux mais également pour ses
fameux nattages en cuir que l'on contemple sur de nombreux sacs, chaussures
et pièces vestimentaires. Dans un immense hangar, ou le sol s'apparente
à des marbres mouchetés aux accents de jade et de carbone, quelques statues
d'athlètes grecs, semblables aux bronzes antiques, s'éparpillent, de-ci
delà, autour du podium. Peut-être une projection fantasmée d'une villa romaine,
d'un jardin à l'italienne ou d'une allée d'un musée italien. Paola Manes,
mannequin Italienne, a été choisie pour incarner cette étincelle qui devrait
enflammer le show. Donner l'envie irrépressible aux invités de se vêtir
en Bottega Veneta. Avec une simple nuisette, aux fines bretelles, en soie
lactescente, Paola englobe déjà l'idée d'un certain look minimalisme, à
la manière d'un Calvin Klein ou d'un Helmut Lang. Les similis bottes se
personnifient en de grosses chaussettes tricotées en laine naturelle. Quasi
des chaussettes de ski. Retour vers un cocooning véritable. Son sac tressé,
en forme de demi-lune, se prêtera parfaitement à des randonnées dans des
stations de sports d'hiver comme Courchevel ou Megève. La version rouge
écarlate est un peu trop voyante à mon goût. La veste de costume masculin
s'allonge au point de frôler le sol. Le tissu crémeux s'octroie à intervalles
réguliers de micros stries noires. Porté toujours avec les chaussettes.
Les costumes masculins deux pièces peuvent prendre des formes ultra amples
avec des configurations ultra simples. Leurs poches pouvant emmagasinées
nombre de colifichets. Un manteau masculin se fait peignoir, élaboré à partir
d'un tissu hirsute en laine de couleur miel. Un trench en cuir tabac, ultra
caréné, recouvre l'apparence d'une peau d'alligator. Le véritable luxe ne
s'édifie plus dans l'appropriation de peaux rares (souvent d'élevage) mais
de s'y jumeler à s'y méprendre. Là réside le véritable luxe. Dans la manière
de repenser le monde. Pour qu'il soit beaucoup plus équitable et juste.
Même si, indéniablement, le pouvoir de l'argent fera toute la différence.
Le défilé insiste aussi bien sur les vêtements féminins que masculins. Sur
Tarlisa Gaykamangu, premier mannequin australien de la communauté aborigène,
son pull replet et volumineux, aux larges mailles "limite" mal tricoté,
au col cheminé tombant, s'offrira une deuxième vie en tant que simple robe.
Le trench chocolat en cuir de Lara Menezes s'empreint d'une peau crocodile.
La version mastic de Karolina
Spakowski
s'entiche d'une peau d'autruche. Plus vraie que nature. Les robes en soie,
type nuisette, s'incrustent de dentelles ravissantes et s'enluminent de
tonalités de taupe ou anis. D'autres, aux plissés de vestales romaines,
s'incrustent de tiges fleuries perlées aigue-marine comme sur le mannequin
Or Shapira ; de chardons multicolores sur Chu
Wong.
Le total look en cuir bourgogne d'Edith Ike prend des conformations de parachute
prêt à s'ouvrir en cas de dégringolade. Presque tous les looks sont rehaussés
de sacs divers et variés, une des compétences originelles de la maison Bottega
Veneta. Il y en a vraiment pour tous. Sacs à main ; Bagages de voyage ;
Valises ; Sacs sceau tissés ; Double Tote-bags ; Sacs coussin ; Mallettes
pour col blancs ; Sacs œuf. Pour finir avec des sacs triangulaires allongés,
horizontaux à l'allure contemporaine, voire ultra-sonique. Bref, une saison
entièrement dédiée au savoir faire de la bagagerie. Mathieu Blazy a étudié
une nouvelle silhouette masculine avec sa "robe" pour homme. Une sorte de
"Kamiz" à l'indienne. Ou pour schématiser de djellaba marocaine. Mais rectiligne,
en version maille, de couleurs coquelicot, crème ou Sépia. La veste de smoking
anthracite de Julia
Nobis cintre et emprisonne sa taille alors que la carrure
de ses emmanchures s'élargie tout en sphéricité. Avec des cuissardes crème,
s'il vous plait. Quant à la robe écarlate d'Ajah Angau Jok, au col en V
boudiné, elle se recourbe aux niveaux des hanches par d'exquises excroissances,
permettant l'élaboration d'un effet de plissés théâtraux. Des effets 3D,
forme écailles, pour le pull Vermillon de Kris Wardak. Les pulls sont exécutés
avec différents points de tricotage les rendant hypnotiques. Quelques couleurs
vigoureuses peuvent investir des total-looks comme le soufre, l'absinthe,
le parme ou le pistache. Des plumes aériennes viennent flirter avec le haut
du décolleté vert pistache de Cecilia Wu. Beaucoup de recherches sur le
tayloring, l'architecture du vêtement ainsi que sur l'ouvrage d'une silhouette
couronnée de détails conceptuels. Cintrage, corsetage et système de baleines
au niveau de la taille dégainent un maintien inégalable, incomparable. Le
top chinois, Liu
Wen, clôturera la présentation avec un simple marcel blanc,
un pantalon impression jeans, un sweater noué à la taille dragée et un sac
seau entrelacé gris souris. Le tout façonné en cuir ultra souple. Chez Bottega
Veneta se niche la complexité entre une apparence dite minimaliste et une
préciosité extrême des matières et des idées. L'apanage de haut vol d'une
richesse discrète.
YG
Bottega
Venetta
Automne/Hiver
2023/2024
YG
YG
Chanel
Automne/Hiver 2023/2024
par Virginie Viard
Chanel
possède, dans son ADN, toute une oriflamme de codes identitaires maison
fondant sa richesse et son fond de commerce. Une façon élémentaire de la
reconnaître sans l'interpeller. Le fameux "Savoir" entre initiés. Cette
saison Automne/Hiver 2023/2024, Virginie Viard a dédié ce défilé à la fleur
de camélia tant glorifiée par Mademoiselle Chanel. Elle lui offre une surexposition
médiatique et l'impose, urbi et orbi, dans un vestiaire hivernal assez traditionnel.
Le décor parachève ce discours en imposant deux ilots centraux composés
d'un quatuor gigantesques de camélias immaculés. Ces derniers servant d'écrans
géants à des projections cinématographiques en noir & blanc. La lyonnaise
Loli
Bahia
ouvre le show avec un longitudinale manteau/peignoir, en tweed noir et blanc,
qui consigne une foule de camélias éthérés. Une corpulente chaîne gourmette
enserre son cou s'achevant par un double C, mi-or mi-diamant. De délectables
gants, en dentelle de camélias ébène, dispersent un romantisme suranné qui
aurait comblé ce cher Monsieur Lagerfeld. Le trench de Merlijne
Schorren, en cuir macassar, convoque sur son col une rivière
de camélias anthracite. Ses bottes, en cuir sombre, aux talons compensés,
gainent les chevilles telles les chausses des danseuses du Moulin Rouge.
Quant à Vivienne
Rohner,
nouvelle égérie maison, elle se dandine dans une interminable robe/chasuble
enchevêtrant camélias, C entrelacés et rayures "marinière". Le camélia se
glisse dans les broderies, damassées, dentelles, guipures, cuir. Différents
types de boutons personnifient cette fleur exquise. Il vient juste à se
glisser dans le sommet de la chevelure naturelle d'Angelina
Kendall,
en version pétrole. Ou sur les poches de la combinaison short d'Akon
Changkou.
Le bermuda, en jean réglisse, d'Adwoa
Aboah
s'agrafe d'abondant camélias tels des pins's des années 80. Le design rectiligne
du manteau d'Alix
Bouthors
alterne avec un quadrillage, à intervalles réguliers, de camélia et double
C. Semblablement au jeu du morpion. Nonobstant, c'est sur le top allemand
Anna
Ewers, égérie de la ligne "Les beiges", que le sens strict
du terme "chanelissime" prend tout son éclat. Son Aura. Sa veste anthracite
épingle, de manière aléatoire, des minis et médians camélias lactescents.
Du pur Chanel. S'il fallait retenir une unique veste, ce serait celle-ci.
Idem sur la britannique Giselle
Norman
dont le bermuda en tweed flamboyant s'enorgueillit d'une flopée de camélias
laiteux. On est "camé" et shooté aux camélias. Le bermuda peut s'édifier
autour d'une dentelle légère. Un esprit absolument lingerie. A enfiler avec
des collants alcalescents continuellement aspergés d'arabesques florales.
Un pantalon ample, quasiment jupe, détourne le fameux matelassé maison en
y incrustant, en ses intersections, de mini strass Diamant. Des propositions
de looks assez sombres qui propagent une classe inhérente et intemporelle
à la femme Chanel. Certains looks se font couture notamment lorsque la veste
en tweed se pare de camélias en plumes ; d'un teeshirt, col circulaire,
entièrement brodé de sequins reconstituant la fleur maison. Le tout enfilé
sur un pantalon opalin, entièrement couvert de paillettes, damasquinant
à un rythme constant ce fameux camélia. Avec pour touche ultime, deux ventrus
camélias s'agrafant sur les bottines en paillettes charbon. Il n'y a pas
meilleur exemple pour décliner ce look d'apparence couture en un prêt-à-porter
de luxe "plus-plus". Des plumes d'autruches blafardes s'apposent sur les
poches du gilet d'Apolline
Rocco Fohrer
ou bien sur les épaules du pull en cachemire de Grâce
Elizabeth telle une brume fougueuse descendant les flancs rocheux
d'une montagne. Beaucoup de tailleurs classiques demeurent destinés pour
subsister pour une vie entière. La fameuse interrogation sur la durabilité.
La maison Chanel y répond favorablement. Quelques touches de couleurs avec
ce rose pastel pour une veste en tweed à l'allure de chandail ; Des pulls
en mohair dont le graphisme pourrait référer à des pétales stylisés s'apposent
d'une tonalité dragée. Virginie Viard glisse un total look pied-de-poule
en version grenat : cardigan cinq boutons, jupe droite et manteau peignoir
sur l'athlétique Alaato
Jazyper.
Amar
Akway
porte une longue jupe en tweed, au quadrillage chair, qui se parachève en
jupe asymétrique. Sa courte veste à la carrure rectiligne s'immobilise net
au nombril. La juvénile Anouk Smit rajeunie son tricot en cachemire
avec une jupe saumonée qui matérialise un certain esprit bohème et insouciant.
Celui de Rachel Marx se fait seconde peau. Son pantalon en taffetas de soie
noire s'agrémente de fleurs menues en perles de jais. Pour le soir, les
looks se font plus décontractés et tempérés. Dans une certaine épure contenue.
Toujours en noir et blanc. Ca fonctionne parfaitement. Mais, on restera
sur sa faim avec un bémol sur les ultimes passages, dont les imprimés fleuris,
aux camaïeux de Vermeil, Corail et Cerise, un tantinet "Petite maison dans
la prairie", auraient pu stationner en coulisse du show. Pour être honnête,
des robes à l'allure ultra-vieillotte. La collection aurait pu simplement
se clôturer par le passage d'Ida
Heiner.
Chanel a souhaité se réapproprier ce code identitaire puissant dont certaines
maisons de couture s'étaient dernièrement emparées. N'est-ce pas Valentino
? Amalgamant cette jouissance intellectuelle de la maison Chanel. Finalement,
cette magistrale présentation se voudra être une ode véritable à cette délicate
fleur qu'est le Camélia. Et, Chanel en demeure bien le maitre.
YG
Chanel
Automne/Hiver
2023/2024
YG
YG
Dior
Automne/Hiver
2023/2024
par Maria Grazia Chiuri
Au
delà de la création du prêt-à-porter féminin pour la maison Dior, Maria
Grazia a l'envie constante de mettre en valeur les œuvres d'autres artistes
féminines contemporaines. L'univers féminin est ce qui importe. Ses créations.
Ses paroles. Ses pensées. Ses désirs. Sa beauté dans sa diversité. Maria
Grazia incarne avec panache ce rôle de porte-parole régulier des combats
féminins. Une sororité. Cette présentation prêt-à-porter Automne/Hiver 2023/2024
honore l'univers ahurissant, développé depuis des années par la plasticienne
portugaise Joana Vasconcelos. Un travail monumental et magistral de design
textile mettant en exergue des formes organiques, tout en rotondité. Ici,
on peut discerner dans sa globalité une forme d'araignée gigantesque avec
d'oblongues pattes enluminées. Toutefois ce n'est qu'une vue de mon esprit.
Ce set-design, d'un bleu Klein profond, rehaussé de fanfreluches et plumes
multicolores, inondés de milliers de leds, pourrait incarner le concept
d'une grotte onirique et magique ; d'un jeu de maracas mexicaines suspendues
; d'organes sublimés du corps humain ; voire la matrice de la fécondité.
On peut imaginer tout ce que l'on a envie. Cette installation semble digne
d'un rêve éveillé. Un émerveillement. Les mannequins naviguent impassiblement
entre ces protubérances "glandulaires" géantes. Elles tournent autour, les
frôlent, les effleurent. Il y a comme un discours immanent entre ces masses
textiles gigantesques d'une richesse folle avec des vêtements qui se veulent
beaucoup plus frugaux et austères. Un contraste saisissant. Dés le début
du show, se profilent de nombreux looks noirs, agrémentés de couleurs sombres.
Une simple chemise blanche se porte avec une cravate fine de tonalité anthracite.
Le fameux cannage matelassé s'insère sur des doudounes, blazers et sacs
complètement anthracite. Des jupes évasées, et d'autres dites crayon, en
pied de poule, enserrent bien la taille. La silhouette en V. La matière
usitée peut se froisser légèrement. Les formes des sacs demeurent toujours
dans une veine sempiternelle. Maria Grazia Chiuri propose une revisite de
l'héritage laissé par Monsieur Dior. Même si elle s'appuie régulièrement
sur les codes maison, ce patrimoine n'a jamais été aussi présent que dans
ce défilé Automne/Hiver 2023/2024. Tout demeure chic et sans chichi, avec
un discours ensorcelant sur la simplicité et la sobriété. Des looks ultra
portables qui concèdent confiance à celle qui décidera d'y succomber. Sans
que l'on identifie au premier abord la maison qui l'habillera. L'indice
s'insinue dans les sacs matelassés carbone, chapeaux cloches ou Totes Bags
siglés. On bannit le "m'as-tu vu" pour mettre en exergue l'allure élégante
de la parisienne que Christian Dior affectionnait tant, à la fin des années
40. Cela fait du bien de reconquérir une certaine tempérance dans un monde
qui prône toujours plus de provocation vestimentaire. Ou les dictats convergent
parfois vers des "too much" odieux. La femme Dior, cet hiver 2023/2024,
s'inscrira dans un vestiaire modéré dans les lignes mais avec un accent
prospère dans les détails textiles. Des dégradés grenat ou lie-de-vin viennent
effleurer un pullover sans manches. Un manteau en alpaga d'une souplesse
sans nom s'étire en un Tie & Dye carbone au vert émeraude. De même pour
une longiligne jupe plissée traînant aux chevilles. Des paillettes et perles
cramoisies illuminent subtilement une jupe ainsi qu'une robe à fines bretelles.
Voire un Marcel sur la gracieuse Maty
Fall Diba
et la hiératique Rachel Marx. La discrétion reste toujours de mise mais
avec juste ce qu'il faut pour se démarquer. Un tartan vermeil habille un
caban. Quand celui-ci imprègne une volumineuse jupe, elle diffuse carrément
un style Country. Mais, on modère l'effet avec une chemise en popeline lactescente.
On peut allier un pull angora, impression tartan, avec une jupe crayon aux
motifs floraux délavés mordorés. Les imprimés inédits peuvent laisser spéculer
à une nuée florale, une brume de fleurs. Mais stylisés comme s'ils avaient
été passés au laminoir. Certains imprimés donnent vraiment le sentiment
de tissus d'après guerre. Un peu désuet mais avec une vibration revival.
Les robes d'apparat demeurent dans une veine simple dans l'aspect. Toutefois,
les matières le demeurent beaucoup moins. Des fils argentés, insérés subrepticement
aux soies, satins et damassés, viennent rigidifier délicatement l'ensemble
pour créer des effets de retenues, de cannelures, de rainures. Un effet
froissé envoûtant. Quelques touches léopards. On récupère l'imprimé "cartes
de Paris", en tonalité crème, qu'on applique sur une jupe, une robe bustier
ou un simple parapluie. Un véritable dialogue s'instaure entre les précédentes
collections et j'affectionne énormément l'idée. Les derniers looks se parent
exclusivement de noir charbon. Des fines broderies perlées viennent véhiculer
un éclat, un rai de lumière à cette fin de présentation. C'est sur le tube
iconique d'Edith Piaf, "Nob, je ne regrette rien" que s'achève ce défilé
de la maison Dior. Une ode aux classiques maisons réétudiés.
YG
Dior
Automne/Hiver
2023/2024
YG
YG
Gucci
Automne/Hiver
2023/2024
par le studio Gucci
Dans
le calendrier de la fashion week milanaise, il y a fréquemment des défilés
plus attendus que d'autres. Scrutés avec une attention particulière. Cette
saison, ce sera celui de la maison Gucci, navire phare du groupe Kering.
Pourquoi une telle attention ? Simplement parce que la direction artistique
n'est plus aux mains du talentueux Alessandro Michèle qui avait redéfinit
avec brio l'esprit maison avec cette fantaisie déroutante, ce génie baroque
incontestable et cette créativité folle, sans borne. Et, cela durant huit
années. De quoi asseoir un style puissant, identifiable tout en imposant
un pouvoir de gourou incontestable. Toutefois, la star, ici, c'est la maison
Gucci qui a décidé de faire "Tabula Rasa" et de recommencer à zéro. Alors,
l'interrogation qui enflamme les lèvres du biotope de la mode demeure la
suivante: Que va-nous dévoiler l'équipe médiane pour cet automne/hiver 2023/2024.
Pas de chef d'orchestre puisque la direction artistique se compose seulement
du studio de création. Une agrégation de synergies diverses et d'énergies
ingénieuses. Une salle immense, aux murs gris-souris, à la moquette absinthe,
composée de faux plafonds, rehaussés de lumières néons et de deux gigantesques
cercles étincelant, fera office de lieu de la présentation. Avant le début
du show, les éclairages grésillent, parasitent, crépitent, installant une
atmosphère peu rassurante. Un trio d'ascenseurs agrémente chaque pan de
murs de ce set-design insolite et singulier. Même anti-glamour pour une
présentation mode. On peut se demander ou l'on se trouve. Un mélange d'inspiration
cinématographique entre "Bienvenue à Gattaca" et "Shining". Certains invités
sont compartimentés au centre de deux ronds-points faisant office de canapés
circulaires. Le reste s'affrontant autour de cette spacieuse salle rectangulaire.
La porte d'un des ascenseurs s'ouvre enfin laissant jaillir le premier look.
Un micro soutien-gorge bijou, entièrement tricoté en strass diamant, se
couple d'une oblongue jupe en satin noir supportée par d'interminables gants
noirs. Les micro-lunettes de soleil dramatisent ce look qui pourrait être
choisit pour un tapis rouge. Puis, le deuxième look part dans une direction
totalement opposée. Un manteau droit de travailleur en col blanc se teinte
d'un gris souris monotone. Rébarbatif mais tellement facile à enfiler. Les
looks classiques alternent avec des allures plus cocasses. Il n'y a pas
d'homogénéisation entre chaque look mais des propositions selon la vie que
l'on mène. Pour condenser, on peut s'habiller chez Gucci selon n'importe
quelle situation comme aimait l'écrire Alessandro Michèle. Un vestiaire
varié ou l'on peut piocher la fameuse pièce qui nous fera "jouir d'extase".
Sur Cyrielle
Lalande,
le teeshirt, manches longues, joue la totale transparence en vermillon.
La jupe, aux genoux, se perfore de larmes régulières, aux bordures de strass
diamant. Les gants vermillon couvrent seulement les doigts. Sa paire de
lunette se fait masque et se teint d'un rouge pur sang. A contrario, Bente
Oort, marche complètement décontractée avec son pantalon
à pinces anthracite, sa chemise ivoirine et son pull basique en cachemire
s'achevant au nombril. Avec le ceinturon GG, bien évidence. Un trench s'effiloche
de milliers de filins métalliques argentés sur Sara
Blomqqvist. La pièce fashion à souhait. Julia
Nobis
se voit affabuler d'une robe un tantinet eighties avec un simple bustier
crème qui laisse jaillir, aux hanches, deux gibbosités bouffantes ébène
ébauchant un simili cœur. Désuet à mort. Aivita Muse porte un costume croisé,
deux boutons, un tantinet oversize. Sommaire mais efficace. Les sacs à mains
reprennent le design de ceux désignés par Tom Ford dans les années 90 comme
le "Horsebit Chain" et le "Jackie 1961". Ils sont interprétés dans des coloris
inédits et matières originales comme le cuir de mouton retourné. Surtout
en version XXL pour bien les distinguer. Nombreux sont les looks mono-couleur.
Très peu d'imprimés. Voir pas du tout. Les manteaux, en fourrure synthétique,
sont proposés en diverses longueurs et se colorent de parme, émeraude, rose
fluo, châtain ou moutarde comme sur le mannequin Stella
Lucia. Quelques pièces sont assiégées par des parements
en fausse fourrure hyper vitaminés (Rouge sang, rose fluo ou vert amande)
sur des encolures ou sous forme d'écharpe. D'ailleurs, cette dernière explose
sur les frontières de délicates mules. Le mohair fait quelques clins d'œil
sur une robe-pullover vert émeraude, un micro-top jaune fluo ou un top asymétrique
cachou. Des couleurs franches et très visuelles. Kiki
Willems enfile des Moon-Boots en fourrure pétrole. Un
couvre-chef prend la configuration de ceux de la garde royale britannique.
Greta
Hoffer
enfile une robe légère, droite, maintenue par une sangle sous la poitrine,
dont la couleur nous fait voyager dans un champ de coquelicots. Un manteau
filiforme, huit boutons, bleue Klein, pourrait sortir du vestiaire de mademoiselle
Chanel. Le casting fait appel à d'anciennes égéries maison comme Liisa
Winkler ou Guinvere
van Seenus qui clôtura le show avec une certaine dureté.
Le tissu iconique au fameux double G s'applique sur des soutiens-gorges
au design rectangulaire, sur une jupe droite et étroite ou sur des collants
en strass dans des tonalités vermillon, pétrole et neige. La combinaison,
veste de travail, chemise incolore et jean large, marche toujours. Tel l'univers
Celine désigné par Hedi Slimane. La proposition faite par la maison Gucci
cette saison demeure minimale, débarrassée de toutes sortes de fanfreluches
inutiles. Presque intemporel en un sens, ultra-portable mais sans grande
extravagance. Les codes maison restent visibles de-ci delà sur certaines
pièces avec spécialement les mords en métal, doré ou argenté, ainsi que
le double G. La totalité du studio Gucci saluera à la fin de la présentation.
Une collection qui se veut être un véritable trait d'union entre la folie
créative d'Alessandro Michèle et l'arrivée imminente de Sabato de Sarno.
Gucci
Automne/Hiver
2023/2024
YG
YG
Louis
Vuitton Automne/Hiver 2023/2024
par Nicolas Ghesquière
Nicolas
Ghesquière fait son come-back dans les murs du musée d'Orsay pour dévoiler
sa nouvelle collection hivernale 2023/2024. Un lieu classique, historique,
mêlé de tragédies et de fêtes désopilantes. Les parquets antiques, entourés
de dorures et stucs décoratifs, recouvre toutes les salles à foison ; à
profusion. Un oblong podium carbone, complètement eighties, tranche avec
le conservatisme du lieu. Un esprit Versailles. Nicolas Ghesquière a probablement
eu l'appétence de dramatiser cette présentation hivernale. Juxtaposant une
kyrielle de lustres en cristal XVIIème, des colonnes métalliques supportent
des rampes luminaires diffusant une luminescence carrément glaciale mais
efficace pour focuser chaque look de la collection. Quelques parapets anti-soniques
bordent le podium générant un effet de décor de films "Catastrophe". On
mêle des univers antinomiques et anachroniques. C'est la jeune Greta Oberwalleney
qui monte en premier les quelques marches vers le podium avec cette veste
singulière dont les plissés demeurent dignes d'une Madame Grès. Celle-ci,
à l'allure d'un autre temps, s'accordera entièrement avec le notre. Souple
et ample, elle se suffit à elle-même. Quand le pantalon vanille parait sur
un second look, il se boursoufle, à chaque pas, attirant des volumes dignes
de l'accoutrement de Soliman le Magnifique. La fine ceinture enserrant la
taille se fait lien et glisse jusqu'à plus bas que terre. Ce néo-classique
devrait prendre place dans le vestiaire de cette fameuse néo-bourgeoise
cosmopolite. Il y a travail évident sur l'architecture et le bâti intrinsèque
des vêtements. Ainsi, une robe bustier beige, asymétrique par son unique
bretelle "boudin" boursouflée, incorpore un pull en maille mastic accroissant
le "sur-volume" de cette unique brassière. Quand un second bustier laisse
trop de place à la poitrine, on l'additionne d'un pull en cachemire afin
de conserver son honneur sauf. On croisse au sein de cette collection quelques
détails de style, utilisés dans de précédentes collections, comme le coup
de scalpel horizontal aux genoux, déjà aperçu lors de son passage chez Balenciaga.
La flanelle grise intègre un tailleur pantalon d'une rigueur digne d'Irène
Cassini (Uma Thurman) dans le film "Bienvenue à Gattaca" d'Andrew Nicol.
La version immaculée, sur Loli
Bahia, demeure, elle-aussi, d'une sobriété à toute épreuve.
Le maquillage surligne le bas de la paupière par un agencement de sequins
argentés dispensant un esprit "Euphoria". Même si certaines lignes demeurent,
à première vue minimales, on discerne véritablement un travail minutieux
au sein de certaines tenues. Nicolas Ghesquière célèbre les volumes architecturaux
et tente d'en reproduire l'esprit à travers un style fluide et d'une précision
sans faille. En extrapolant, le look d'Apolline
Rocco Fohrer pourrait me faire penser à du mobilier d'ameublement.
Plus précisément, à une chaise déstructurée. Son plastron blanc possède
la forme d'une assise. Ses emmanchures à ceux d'accoudoirs. Le textile de
sa robe grège récupère la matière d'un tissu de "recouvrement". Les plissés
de la robe d'Hanna Felding demeurent aussi rigides que des empennages d'avions.
Ils sont raides et tenus. Les couleurs surnagent dans une palette de beige,
Camel, gris, anthracite ou blanc. La chemise lactescente se fait blouse
sur Alaato
Jazyper. Son col rigoureux dégouline en gilet. Une touche
puritaine, sobre. Nicolas Ghesquière s'amuse avec le graphisme, notamment
en superposant les tonalités noires et blanches. Les cols demeurent, aussi,
un terrain de jeu : col cape, col cygne, col chorale, col hirondelle. Des
longilignes écharpes tricotées s'enroulent autour du cou et pendent tel
un balancier. Des manteaux, à la forme de Bombers, s'offrent des proportions
volumineuses telles que sur Samile Bermannelli. Quelques pantalons, de confection
somme toute ordinaire, s'offrent de jolies teintes tabac ou carbone. Des
basiques sans chichi. Les sacs s'habillent de la toile cirée classique LV
et prennent la forme de sacs photos ou de micro-valises. D'autres réintègrent
des formes ultra classiques, d'une certaine austérité. Un fugace cadenas
argenté se grave du LV maison. Toutefois, le vanity-case "Maison" sera le
clou du spectacle en termes d'accessoire. Il y a clairement un retour vers
un luxe moins ostentatoire, sans logos, mais surement plus durable. Moins
connoté d'une saison. Une robe hair, sans manche, se découpe d'une myriade
de cavités de tailles diverses qui, dans son ensemble, fait penser à un
entrelacement de coraux. Des clous mordorés en investis la périphérie. Les
bottes, d'allure classique, jouent avec les tonalités de peaux des mannequins.
Des illusions d'optique s'opèrent ainsi sur les jambes. Parfois, on est
dupé par une fausse hauteur de bottes. Ludique. Deux masques luminescents
suscitent interrogation lorsqu'ils passent sur le podium. Cocasse à voir.
De délicats strass diamant argentés viennent se glisser sur un caraco Camel.
Ou, de couleur chair, sur une jupe éthérée de baladine enfilée par Angelina
Kendall. Evie
Saunders s'empare d'un céleste peignoir/smoking bordé
de strass en diamant noir. Quant à Victoria
Fawole, affabulée d'un des deux masques étincelants, elle
fait de sa tenue un melting-pot stylistique : veste/peignoir lie de vin,
dont l'imprimé mélange roses et félins. Sa chemise s'édifie autour d'un
jacquard d'arabesques florales argentées et carbones. Son short bouffant
intègre fausse fourrure "loutre" et broderies florales à l'allure de chardons
bleu Klein, vermillon et neige. La comédienne Hoyeon
Jung achèvera cette présentation dans une robe au damassé
fleuri, aux épaules légèrement bombées, avec un bustier prenant la configuration
d'un cœur épuré. Toutefois, en observant précisément, on distinguera de
fines surpiqures de fils de soie blancs brodés sur un cuir ultra souple
carbone. Un véritable effet stuc. La quintessence du style dément de la
cours de Versailles. Pourtant, Nous ne sommes pas à Versailles ici mais
bien au musée d'Orsay pour le show Vuitton Automne/Hiver 2023/2024.
YG
Louis
Vuitton
Automne/Hiver
2023/2024
YG
YG
Loewe
Automne/Hiver
2023/2024
par Jonathan Anderson
Loewe
et Jonathan Anderson symbolisent la quintessence stylistique dominée par
deux données non négociables c'est-à-dire comment associer l'art de se vêtir
avec l'Art contemporain. Ou inversement. La frontière entre les pièces artistiques
et stylistiques paraissant bien souvent minimes. Tout semble cogité par
le biais de concepts puissants et inédits. On ne pénètre pas l'univers Loewe
par Jonathan Anderson de manière intelligible ou rationnel, mais en appréhendant
certains codes précis. Une initiation et un intérêt pour l'Art contemporain
paraissent comme inéluctable, inévitable, obligatoire. Les pièces Loewe
sont loin d'être standardisées. Ce qui contente et exauce une poignée de
"fashionistas", toujours à la recherche de pièces phares et acérées. Mais,
ces dernières qui vont au-delà du simple vêtement questionnent aussi sur
ce qu'est un vêtement ? Jonathan Anderson tente justement de répondre par
ce vestiaire décalé laissant toujours en suspend des réponses en pointillé.
Pour l'Automne/Hiver 2023/2024, la maison espagnole a installé un cube géant
au sein de la forteresse de Vincennes. Cet immense espace permet à chaque
invité de bien visualiser le vestiaire à venir. Ce qui n'est pas toujours
le cas lors de nombreuses présentations. Des cubes unicolores, un tantinet
"mastoc", trônent de-ci delà, sur le podium. Réalisé par le jeu de compression
de millions de confettis, ils peuvent se désagréger légèrement si l'on vient
les frôler, les effleurer. Jonathan Anderson a sollicité la plasticienne
italienne, Lara Favaretto, pour cette mise en scène inédite et conceptuelle,
d'une fragilité onirique. Quand le show débute, il y a presque une impression
de l'ordre du sacrée qui se produit. Un silence d'or. Telle une cérémonie
bénie par son souverain suprême. Les principales robes demeurent édifiées
dans des lignes entièrement verticales, simplissimes. D'un seul tenant.
L'important s'éveille dans les impressions textiles qui imposent, par exemple,
un effet visuel flouté avec des bouquets floraux comme sur Xiru Yang qui
ouvre le défilé; un effet redondant avec une impression d'une pièce textile
sur le même vêtement; un effet de matière froissée, chamarrée, sur un textile
lisse aux tonalités carbone, tabac ou vermillon. Voire sur un pull turquoise
dont les manches s'accrochent par un système ingénieux d'attaches, type
scotch. Le top italien Vittoria
Ceretti
se glisse dans une robe/chasuble, aux manches interminables, dont l'imprimé
dessine l'image d'un trench. Ces effets floutés ont été inspirés par le
travail de l'artiste allemand Gerhard Richter qui aimait prendre des photos
abstraites et troubles. Les cabas origamis sont proposés dans des envergures
extra larges. Presque dans des dimensions colossales. La chemise en cuir
anthracite, au col Mao, s'enfile telle une robe. Elle change de proportions
en fonction de la chainette dorée maintenue entre l'épaule et la taille.
Le même procédé que le tirage d'un store. Un imprimé "écailles de tortue"
a été amplifiée, à la puissance dix, sur un total look chemise/pantalon.
Ca envoie. Le short corsaire se couvre de grandes plumes bleu Klein et,
de même, son tee-shirt de plumes blanches comme neige. Avec les bottines
corsaires, se plissant tel un soufflet d'accordéon sur les tibias. Les escarpins
peuvent se garnir de gros nœud en satin sur le vis-à-vis. Des bottes galbent
la cheville telle des bas de contentions. Le cuir est d'une beauté à couper
le souffle. Normal, c'est la compétence intrinsèque maison. D'ailleurs,
Jonathan Anderson a aussi souhaité le besogner de manière plus rude et résistante
avec trois pièces hyper structurées. Le concept de duplicata d'habillements
provenant de l'univers des "Playmobils" est radical. Des pièces tenant seules.
La robe bustier rose bonbon aux plissés figés. La chemise courte, cinq boutons,
au col rigide, ne bouge pas d'un fil comme sur Jeanne
Cadieu.
Le tee-shirt bubble-gum s'enfile avec une jupe froncée vert anis. Un style
complètement décalé. Une robe bustier, en satin gris ou ciel, se drape de
quelques plissés se formant à la poitrine par l'intermédiaire d'une sphère
dorée. La version glacée de Lulu
Tenney
génère cet air de grande prêtresse que les rédactrices de mode affectionneront
pour leurs shoots. Une robe, tenue par une simple main à l'épaule, renforce
cette impression de cape alors qu'elle s'enroule simplement autour de la
silhouette. Tout n'est qu'affaire de geste comme le dit Jonathan Anderson.
Loli
Bahia
le réalise à la perfection lorsqu'elle croise ses deux mains sur son thorax
pour maintenir sa robe bustier alcalescente. Les chandails en cachemire
carbone ou mastic dévalent jusqu'aux genoux. Une avalanche de douceur. Deux
trenchs droits se brodent de milliers de perles analogues, l'un corbeau,
l'autre rouge sang. La mode hivernale présentée par Jonathan Anderson demeure
une mode cérébrale. C'est notoire. Toutefois, cela ne sous-entend pas qu'elle
soit édictée et créé pour quelques initiés. Loin sans faut. Mais, elle veut
sustenter l'esprit à ceux et celles qui s'y intéressent, en les menant vers
des horizons anticonformistes, souvent méconnu du grand public. Une mode
qui embrasse des mouvements à l'affut d'ultimes innovations, de performances,
d'artistes contemporains et de techniques textiles. En cela les présentations
de Jonathan Anderson pour Loewe se veulent être inlassablement des performances
artistiques. Avec des messages limpides, Jonathan Anderson expérimente avec
magnificence ses coups de cœurs artistiques à travers une ligne de vêtements
ultra-réfléchie et toujours avec un point de vu tranché.
YG
Loewe
Automne/Hiver
2023/2024
YG
YG
Miu
Miu Automne/Hiver
2023/2024
par Miuccia Prada
Pour
l'automne/hiver 2023/2024, la maison Miu Miu a décidé de proposer une mode
d'apparence sage aussi bien dans ses lignes que dans ses formes. Pour être
juste, aucunes pièces dévoilées ne semblent d'une créativité extrême ou
folle. Un prêt-à-porter primaire et facilement transposable dans la vie
courante. On demeure dans des proportions classiques avec un grand nombre
de bons basiques : cardigans, robes, pulls, sous-pulls, jupes crayon, escarpins
à fines brides et talons fugaces, sacs à main valise, etc. Les tonalités
demeurent dans des accents de minéraux et végétaux. Tout ce qu'aime la génération
actuelle. C'est l'actrice américaine Mia Goth qui déferle en premier sur
le podium avec un look classique mais audacieux. Intemporel par un twin-set
en cachemire mastic. Mais, intrépide par une jupe crayon à pois entièrement
cristalline. La cime de son collant maintenant son twin-set en place. Coquine.
Toutefois, par le choix distinct des tissus, comme des mousselines ultra
transparentes, ou par le souhait de dévoiler des pièces généralement dissimulées
du vestiaire telle que culottes ou collants, l'esprit lingerie dévergonde
l'ensemble de la présentation ainsi que les silhouettes. Tout ne vient seulement
de la manière de les enfiler et les agencer. Le collant dynamise la jupe
pour venir sereinement cacher le nombril. Le cardigan vient se glisser dans
le collant pour que celui-ci ne bouge pas d'un iota. La jupe à pois argentine
laisse deviner les longilignes gambettes. Il y a comme une innocence perverse
qui apparait et disparait constamment sous nos yeux. Une fausse ingénue
en somme. Les fameux classiques sont désacralisés par une manière de cheminer,
par un simple geste comme soutenir son sac au creux de son coude, ou simplement
en enfilant une robe laissant discerner la culotte. Bref, une mode qui déculotte
et dépoussière les jeunes filles bien raisonnables. Une veste se déconstruit
par la légèreté d'une mousseline. Toujours à pois comme les aimait tant
Emmanuel Ungaro. Elle virevolte dès que l'on s'active. C'est ultra léger.
Les micros étiquettes Miu Miu, blanc sur noir, investissent le haut d'un
collant, la taille d'une jupe, le bas d'un caraco. Un caban, en cachemire
camel, au col en mouton retourné, inscrit sur le thorax les lettres du label,
ton sur ton. Discret mais pas trop. Miu Miu propose de l'enfiler avec une
simple culotte, idéalisée d'une ceinture en cuir caramel. Il sera souhaitable
de ne pas omettre de bien enclore ce caban si l'on souhaite le total look
du show. La version en velours moutarde côtelée, toujours au col de mouton
retourné anthracite, peut paraitre plus aisée. Moins attendue. Rianne
Van Rompaey
a l'air de ne pas y toucher avec son allure de secrétaire bien sous tout
rapport. Avec ses lunettes de vue et sa pochette en cuir émeraude, sa robe
en mousseline immaculée, renforcée de pois carbone, apparait presque candide.
Et oui, il faut rester sérieux quand on dévoile tout. La même silhouette,
version "négative", apparait aussi sulfureuse sur l'une des égéries récurrentes
maison, Ondria
Hardin. Mais cette fois avec une culotte Olive. Le cardigan
boutonné s'additionne d'un pullover ton sur ton. Le fameux effet Twin-set
comme sur Sascha
Rajasalu.
Des tenues sportswear sont dévoilées avec des leggings, hoodies, sweaters
à capuche et baskets que l'on devra agrémenter d'un joli caban Marine à
boutonnage doré. Catherine
McNeill défile sur le podium avec ce look athlétique et
somme toute commun. Passe-partout. Avec une valisette en cuir châtaigne.
La version masculine parait identique à celle de la femme. Aucune différence
apparente. La mode Miu Miu apparait non "genré" quand il s'agit d'une dégaine
Sportswear. Elle est pour tous. Soyons certain, cela en ravira plus d'un.
Les sweaters à capuche subsistent encore en taille oversize et se rehaussent
de camaïeu de gris. Une mode bien de saison car le manteau s'enfile sur
un sweater qui s'enfile sur un col roulé comme sur Liu
Wen. On n'hésite pas à superposer les couches de vêtements.
Les derbys en cuir anthracite ou auburn fonctionnent aussi bien avec un
legging qu'un simple collant. Beaucoup de tonalités mordorées, Camel, chamois,
cuivre, vanille, miel ou poils de chameau. Tous les sacs se portent à la
jonction du coude ou en main bloqués sous l'aisselle. Etre à la mode demeure
souvent affaire de posture. Celui-ci en fera parti pour l'Automne/Hiver
2023/2024. Le look de Maty
Drazek,
entièrement Camel, peut aller aussi bien à la jeune fille de 18 ans qu'à
son aïeul de 77 ans. Seules la démarche et l'incarnation feront la différence
entre un look "In" ou un look "Out". Du framboise, ocre et moutarde pour
des vestes et manteaux en lainage tricotée. Les robes de cocktails assez
dénudées se brodent de tiges florales qui flottent au vent. Les versions
chocolat et topaze fonctionnement parfaitement avec des carnations de peaux
foncées. Celle de couleurs chair ou vanille auront la préférence des carnations
plus claires. Toutefois, on peut switcher selon ses propres préférences,
bien entendu. Une doudoune moutarde s'accompagne d'une jupe boule qui va
à ravir à Yura Romaniuk. Loli
Bahia
enfile une robe tee-shirt en cuir tabac qui la projette dans une vibration
à la "Swinging-London". Un tee-shirt limite-limite car stoppant juste en-dessous
de la bienséance. Avec un simple collant fauve, ce fera bien l'affaire.
La version Kaki de Julie
Hoomans demeure plus délectable. Des marguerites aux allures
enfantines marquent un pullover vert chartreuse ainsi que des cardigans
lie-de-vin et abricot. Les pièces en cuir tels que les blousons à capuches
revêtent plusieurs tonalités allant du framboise au tabac, du kaki pour
Anouck Smits au tournesol pour Anna
Ewers ; aussi du mandarine et perle. Nombreuses sont les
lunettes de vue et sacs besace. Quelques cabochons viennent se glisser sur
des mules ou sur la bordure d'un col d'une robe. La robe en tweed "chevron"
d'Anok
Yai
aura la chance de posséder un décolleté agrémenté d'une myriade de cabochons
whisky. La culotte d'Amélia
Gray
sera intégralement sertit de cabochons rose bonbon. Avec un simple col roulé
en cachemire anthracite, on peut assurément témoigner qu'elle ne passera
pas inaperçue. L'actrice britannique Emma Corin, égérie maison, clôtura
le show avec le même look qu'Amélia mais en version bistre. La couleur définissant
l'hiver Miu Miu. Après la mini-mini, la culotte sera-t-elle le nouveau hit
de la maison milanaise ?
YG
Miu
Miu
Automne/Hiver
2023/2024
YG
YG
Paco
Rabanne Automne/Hiver 2023/2024
par Julien Dossena
Un
interminable chemin au ton sablonneux fait office de podium pour le défilé
prêt-à-porter Paco Rabanne pour l'Automne/Hiver2023/2024. On peut imaginer
un rivage sauvage de bord de mer, une simple carrière ou les gravillons
d'un manège équestre. De préférence, je distinguerai un passage incarnant
l'histoire maison entre passé, présent et futur. Une allégorie du cycle
de la vie. Celle-ci prend tout son sens quand on apprend que Monsieur Paco
Rabanne vient de décéder quelques jours auparavant. Triste nouvelle pour
la maison. Mais, il faut apprendre à vivre avec. Aussi, l'important demeure
dans la poursuite de son œuvre stylistique dont Julien Dossena, Directeur
Artistique, la maitrise de main de maître. On subodore que cette présentation
sera emplie d'émotions. Toutefois, il faudra attendre la surprise des derniers
passages pour être submergé d'émois. Sur un concerto pour une voix de Saint-Preux,
Alix
Bouthors
ouvre le show avec gravité et magnanimité. Son col roulé "cropé", de couleur
fauve, se couple d'un pantalon achevant sa course plus bas que terre. L'ensemble
en mohair ultra doux. Son sac sceau se bâtit d'un mille-feuille en pampilles
de cuir carbone. Un look similaire investit une matière lurex complètement
dorée, remémorant les pièces métalliques iconiques, digne signature de Paco
Rabanne. La version en mohair anthracite adoptera une jupe interminable,
dans un style portefeuille. Le mohair reste exécuté dans une large gamme
de couleurs allant de l'ocre au bleu layette. Anok
Yai
optera pour un trench XXL, en cuir de tonalité Jade, arboré d'un col fourrure
proéminant, serpentant du col à la cheville. Laissant juste distinguer sa
paire de tennis immaculés. La robe en mohair virginale d'Anouck Smits se
maintient au niveau de la poitrine par un jeu de nouage élaboré. Savoir
faire. Un véritable cocon de douceur. Le cuir souple prend une brève part
au sein de cette présentation. La chemise s'insère dans le pantalon insufflant
un effet de combinaison aviateur sur Ida
Heiner.
Julien Dossena use de matières à consonance métallique telle que le look
sur Mona
Tougaard
dont le col roulé doré prend l'apparence d'un grattoir métallique, couplé
à une jupe aux milliers de fils argentés. Eblouissement total. On recouvre,
aussi, l'univers des imprimés fleuris dont il affectionne tant et aime à
disséminer dans chacune de ses collections. Toujours sous forme de ravissants
bouquets. Jamais "gnangnan". La dentelle s'insère sous forme de lignes en
V et d'une fleur solo. Le duo se combine aisément, dispensant un effet contemporain
non négligeable. Une dentelle sensuelle carmin s'incruste sur une soie saphir
comme sur la robe enfilée par Oudey
Egone.
Un effet joaillerie. Cette délicate guipure s'incruste aux fameux imprimés
bouquets dont les backgrounds moirés peuvent se colorer de miel ou d'azur.
Toutefois, Julien Dossena purifie certaines robes de toutes fioritures en
ne gardant qu'une ligne forte dans une tonalité : carbone, orange ou parme.
La version sequin, totalement dorée de Miriam
Sanchez,
s'enorgueillit d'un énorme cœur 3D sur la poitrine. Il se brode de quelques
gemmes en rubis, entourées de micro diamants. Haute joaillerie. Le clou
du spectacle se crayonne dans cinq robes à l'inspiration de l'œuvre de Dali.
Elles sont sensationnelles. Exceptionnelles. Un moment suspendu lors de
leurs passages. Iconiques. Les fondamentaux Paco Rabanne s'enchainent immédiatement.
Les pampilles métalliques en demi-lunes ou en forme de plumes viennent crocher
une jupe, une robe telle des couperets. Toujours en or ou argent. Avec une
proposition enthousiasmante, le "dragée". Le tintement perceptible de ces
milliers de pampilles diffuse un supplément d'âme à ces pièces ahurissantes.
Des brassières fleurs, en fils de métal, viennent souligner les poitrines
de Cyrielle
Lalande
et d'Awar
Odhiang.
Les robes de métal inondent la collection avec en premier temps celles désignées
par Julien Dossena. Les classiques pastilles métalliques côtoient des corolles
florales translucides sur la robe longiligne d'Iman Kaumann. Des franges
longitudinales galvanisent une autre robe composée de losanges dorés sur
Nora
Attal.
Un tissu en maille de métal, ultra fluide, se recouvre d'une mousseline
céleste, alignée de micro-sequins comme sur Sofia
Steinberg.
Quand la puissance d'une matière caresse la vulnérabilité d'une autre. Puis,
la voix de Paco Rabanne germe comme par enchantement. Elle murmure des choses
vraies, sans compromis sur sa vision de la vie, de la mode : "Je suis un
technicien venu de l'enseignement technique, de l'architecture. Un homme
passionné de son époque, vivant dans ce temps-ci ; vivant pleinement dans
ce temps. Amoureux absolu de ce temps et voulant l'exprimer par son métier".
"C'est le rôle d'un vêtement de charmer. C'est de provoquer l'amour chez
les autres. L'amour qui est le ressort de toute activité". "La mode m'a
intéressé par ce coté juste extérieur symbolique. La mode n'est que symbolique
extérieurement. Il m'est arrivé de faire des vêtements anti-mode. De faire
des vêtements très spéciaux avec des formes et des couleurs, particulières
pour voir la réaction sur les femmes. Pour l'éprouver sur les femmes". "Les
femmes sont devenues des combattantes. Donc, je les ai vêtues d'armure.
Ces armures essayent de conquérir leur indépendance vis à vis de l'homme.
C'est très symbolique. Et, cela correspond bien à l'époque". "Travaillant
des matériaux bizarres, je ne vais pas dans des endroits normaux qui fournissent
la haute couture. Je vais donc dans des ateliers. Je vais dans les usines,
dans les endroits les plus étranges du monde". "Certains de mes vêtements
essayent de refléter en vêtements mes préoccupations comme un Jules Lepape
en peinture". "Je fais des robes en morceaux de métal. On s'amuse terriblement.
Parfois, on fait des vêtements, on essaye sur un mannequin. On meurt de
rire pendant une journée entière. C'est très drôle". Rien de plus à ajouter
pour condenser l'esprit Paco Rabanne. Tout est dit ici.
YG
Paco
Rabanne
Automne/Hiver
2023/20243
YG
YG
Prada
Automne/Hiver 2023/2024
par Miuccia Prada + Raf Simons
Industriel.
Gris souris. Esprit loft. Un quadrilatère terne ponctué de poutrelles métalliques
de tonalité citrouille, voici quelques vocables simples pour évoquer et
condenser le set-design de la présentation Prada pour l'Automne/Hiver 2023/2024.
Une saison qui pourra prétendre à un dépouillement incontestable. Une épuration
du soi-disant "mauvais goût". La maison Prada, sous l'impulsion de son co-designer
Raf Simons, perdure à s'aventurer vers un minimalisme qui, avouons le, n'est
pas la carte maitresse de sa fondatrice Miuccia Prada. Toutefois, se risquer
vers des contrées que Madame Prada n'expérimente guère, en cela apparait
le trait commun, le ciment qui scelle ce lien puissant entre Miuccia Prada
et Raf Simons. Sans omettre ce respect mutuel. L'attendre là ou on ne l'espère
pas a toujours été le mantra de Miuccia Prada. S'habiller chez Prada, c'est
aussi prendre un risque chaque saison. Il faut laisser s'envoler ses préjugés.
Se laisser surprendre par un fil directeur, un imprimé ou un concept artistique
inaccoutumé. Enfiler du Prada peut booster sa confiance en soi même si le
chemin demeure complètement inattendu. Une musique menaçante, grésillant,
marque le démarrage de la présentation. Une jeune fille, à la silhouette
frêle et vulnérable, à l'allure d'une Sinead O'connor, Ilya Vermeulen pénètre
rapidement le podium. Le regard fixe, avec un mascara laiteux, elle avance
tel un robot. Un pull élémentaire, en cachemire mastic, couplé à une interminable
jupe immaculé et brodé d'un collectif d'origamis, fera bien l'affaire pour
l'hiver à venir. Le triangle maison ajusté au niveau de la hanche. Les ballerines,
encore effilées, se griment de nœuds ou de profils d'oiseaux, issus de l'art
du pliage japonais. Prada frappe fort. Une idée simple qui fait son effet.
Original et facile à enfiler. C'est simplement poétique. Des marguerites
3D assiègent une jupe ample. Très fifties. Des mini-jupes sont aussi proposées
pour l'hiver. On peut opter pour la version minimaliste ou agrémentée d'origamis
diverses et variées. Les longilignes jupes peuvent être droites ou évasées.
Elles possèdent la configuration de jupons ou d'éléments tubulaires. C'est
selon son goût. Le plafond s'élève subtilement laissant apparaitre des gerbes
de lierres sur les poutrelles métalliques. Quand la nature reconquiert les
friches abandonnées. Beaucoup de pullovers à l'allure classique mais échafaudés
avec de belles matières. Les couleurs s'intercalent autour de bleu marine,
carbone, poils de chameaux, vanille ou miel. Ce vestiaire pioche dans une
veine chic, sans blabla, pour une clientèle fortunée qui ne souhaite pas
forcement que l'on sache qu'ils dilapident des fortunes pour un simple pull.
L'art de dissimulation du luxe. Il faut seulement être initié. Une veste
en cuir d'une souplesse inégalée, presque surchemise, se teint d'un adorable
dégradé tabac. Même tonalité pour la veste trois boutons de Rolf
Schrader.
Les pantalons "cigarette" pincent la taille à merveille. D'autres se font
fuseaux avec les zips à la cheville. Les chemises à épaulettes se rehaussent
de cravates ton sur ton et se teignent de tonalités absolument militaires
: kaki, moutarde, olive. Les robes reprennent la configuration de treillis.
En un seul tenant. La jupe en laine mastic de Gigi
Hadid s'épingle de tiges florales alcalescentes. Le manteau
demeure large mais pas trop. Juste une carrure supplémentaire. Les vestes
de costume reprennent l'idée de la collection masculine à savoir le fameux
double col de forme triangulaire. Des costumes néo-classiques qui ne devraient
pas prendre une ride avec le temps. Indémodable. Beaucoup de gris et marine
cette saison. Les cardigans en soie se fond seconde peau laissant apparaitre
les pourtours des poitrines. Les vestes et manteaux en cuir se gaufrent
et persistent dans des tailles oversize. Avec une prédilection pour celle
de couleur rouge sang. Trois robes, sertissant à merveille la silhouette
par un jeu de découpes aux millimètres, insufflent l'image de looks des
années 50. Très madame. Seulement proposées dans des tons pastel : topaze,
chair ou anis. Il faut être parfaitement "gaulé". Alix
Bouthors a été choisit pour supporter
le tailleur "couette" ou "oreiller" que l'on avait pu apercevoir aussi sur
le podium masculin. C'est gonflé. Le fameux effet culturiste. Une tendance
boursoufflée s'annoncerait-elle prochainement dans les rues de nos capitales
? Les ballerines prennent des couleurs vives tel que le mandarine, pèche,
kaki, moutarde, vert pomme, vert de gris, citron. Un effet qui dégouline
sur les mascaras qui s'enivrent des mêmes tonalités donnant aux regards
des effets narcotiques. D'ailleurs comme le mentionne la bande-son : "I
go to sleep. Sleep. Sleep". Un manteau en laine Camel s'offre un dos à tomber
par terre avec sa construction aile de deltaplane. La version bleu marine
demeure plus terre à terre. Pour le final, des robes légères naissent dans
une cotonnade immaculée. Il y a presque un effet drap qui enroule et encapsule
la silhouette. C'est rafraichissant. Les ultimes robes, en soie, se parent
d'imprimés contemporains avec de brèves touches de mandarine, magenta ou
fuchsia. Liu
Wen ferme la marche de cette présentation féminine avec
un caban bleu marine agrémenté d'escarpins rouge vif. Un classique sulfureux.
Le plafond redescend lentement faisant disparaitre ce merveilleux jardin
suspendu. Un vestiaire néo-classique consensuel qui satisfera un large panel
de clients.
YG
Prada
Automne/Hiver
2023/2024
YG
YG
Saint-Laurent
Automne/Hiver 2023/2024
par Anthony Vacarello
Chez
Saint-Laurent, il y a toujours une ambiance, un éther particulier. Comme
si les fantômes de Messieurs Saint-Laurent et Pierre Berger rodaient et
s'invitaient, chaque fois, sur le lieu de la présentation. Comme un flot
outrepassé palpable dans l'air ambiant. On perçoit, de-ci de-là, presque
des auras rémanentes du passée. Une sensation épidermique. Les équipes d'Anthony
Vacarello ont œuvré pour reproduire une atmosphère scénique ayant la saveur
des défilés d'Yves Saint-Laurent lorsqu'il dévoilait ses collections prêt-à-porter
et couture au Grand Hôtel, rue scribe. Un flash-back immédiat de ces années
fantasques resurgit instantanément en s'infiltrant sous ce chapiteau aménagé
juste en face de la tour Eiffel. Trois majestueux lustres en bronze dorés,
à la centaine de bougies électriques érectiles, installés à intervalle régulier,
diffusent cette illumination spécifique et feutrée des palaces d'un autre
siècle. Un éclairage ouaté donnant au podium la perspective d'un long fleuve
doré. Deux larges cercles concaves reconstituent l'esprit des podiums YSL
à l'ancienne ou chaque mannequin pouvait s'entrecroiser sans se brutaliser
ou s'écharper. Quelques notes de musique dramatique commencent à s'échapper
au sein de la salle arguant le démarrage de cette présentation Automne/Hiver
2023/2024. C'est Tara Falla, jeune novice, qui arpente le podium d'un pas
détaché et gracieux. Avec une jupe crayon, entrouverte sur les cuisses,
un marcel immaculé, complètement échancré, elle déambule avec une veste
anthracite, aux rayures "tennis", dont l'envergure se réfère à celle d'un
footballeur de soccer américain. La carrure est bâtit de manière ultra,
ultra, ultra large. C'est en ce détail singulier que se construira l'ensemble
de la collection hivernale Saint-Laurent. Focus sur la stature. Le smoking
se désolidarise de ses boutons et s'embellit d'un mouchoir de satin neige,
plié triangle. Les créoles sont fines et mordorés. On ne néglige pas de
garder ses lunettes "Aviateurs" sur le bout du nez. Les escarpins, à la
délicate bride, persistent dans une configuration pointue. Toujours avec
les talons aiguilles. La sonate classique propage une gravité ambiante qui
correspond au vestiaire exhibé. Les tissus persistent dans un conservatisme
assumé. Beaucoup de propositions de tailleurs/jupes dont Monsieur Saint-Laurent
aurait raffolé. On déchiffre une inspiration de la super woman entièrement
accroc au boulot. Peut-être celle des années 80. Mais, aussi le fantasme
de cette femme hyper sexualisée tant aperçu dans les photographies d'Helmut
Newton. Une longue écharpe en mousseline mastic, s'enroulant autour du cou,
peut s'envoler au grès du vent et venir riper le trottoir parisien. Tout
est dans l'attitude comme aime à prononcer nombre de directeurs artistiques.
Ici, on hume Paris. La parisienne demeure puissante. Le blouson en cuir,
un tantinet aéronaval, prend des largesses, lui aussi, aux épaules. Il garde
cependant une ligne très simple et distinguée. Anthony Vacarello le stylise
avec une chemise lavallière en mousseline carbone, une jupe droite, rayure
tennis, à queue de pie agrémentée de collants opaques. Noir, c'est noir.
Un autre blouson, toujours en cuir, s'emmaillote de drapés sur l'ensemble
du buste. Très eighties. En version chocolat et safran, ca fonctionne autant.
Les rayures tennis, sous divers aspects, investissent des tonalités de vert
de gris, bleu marine ou anthracite. Le tee-shirt basique peut être un autre
élément stylistique déterminant pour rehausser une tenue. C'est simplement
efficace. Des vestes investissent des tissus dont Saint-Laurent savourait
goulument tel que le pied de poule version micro, le pied-de-galle ou le
tartan purement gallois. On peut étayer son look par de longilignes étoles
en lainage s'agrippant à l'épaule, permettant de casser souvent des tenues
un peu trop convenues. Il y a cet esprit absolument gallois. Le Marcel en
satin de soie peut naitre avec des emmanchures béantes et des plongés nombrilistes
proéminentes. Un autre en mousseline de soie chamois laisse brusquement
entrevoir la poitrine. Un grand hit Saint-Laurent. Le top lactescent, sans
manches, aux sangles entrecroisées, ennobli d'une jupe brou de noix, permet
un look d'une droiture extrême mais non dénué d'une sensualité excessive.
Les robes de soirées resteront dans une veine entièrement sombre. Aucunes
fausses notes. Tous les classiques Maison pour cet automne/hiver 2023/2024
ont été recomposées avec des disproportions assumées. Des déséquilibres
choisis qui redéfinissent la silhouette féminine tout en entretenant une
Aura stylistique traditionnelle. Le Marcel en satin de soie peut naitre
avec des emmanchures béantes et des plongés nombrilistes proéminentes. Un
autre en mousseline de soie chamois laisse brusquement entrevoir la poitrine.
Un grand hit Saint-Laurent. Le top lactescent, sans manches, aux sangles
entrecroisées, ennobli d'une jupe brou de noix, permet un look d'une droiture
extrême mais non dénué d'une sensualité excessive. Les robes de soirées
resteront dans une veine entièrement sombre. Aucunes fausses notes. Tous
les classiques Maison pour cet automne/hiver 2023/2024 ont été recomposées
avec des disproportions assumées. Des déséquilibres choisis qui redéfinissent
la silhouette féminine tout en entretenant une Aura stylistique traditionnelle.
YG
Saint-Laurent
Automne/Hiver
2023/2024
YG
YG
Valentino
Automne/Hiver 2023/2024
par Pier Paolo Piccioli
Pier
Paolo Piccioli amalgame l'ensemble de la palette "colorielle" pour sublimer
chaque look qu'il enfante pour la maison Valentino. Un maitre en la matière.
En aparté, il avait dédié la collection Automne/Hiver 2022/2023 entièrement
au rose fuchsia. Une curiosité pour une maison de luxe. Une collection qui
avait été acclamée et, qui par conséquent, avait engendré une déferlante
de fuchsia sur la planète mode. Un annonciateur de tendance en quelque sorte.
Toutefois, pour cet Automne/Hiver 2023/2024, l'état d'esprit de Pier Paolo
Piccioli a été, semble t-il, relégué vers les deux couleurs fondamentales
de l'échiquier: le blanc et noir. Un blanc immaculé mais tranchant. Un noir
vibrant mais radieux. Deux intemporels, mais toujours ensemencés de tonalités
ardentes et éclatantes. C'est avec cet état d'esprit que Paolo Piccioli
dessine ses collections prêt-à-porter qui demeurent souvent plus admirables
les unes que les autres. Ici, l'anthracite s'installe sur une robe sans
manches, relevée par un simple col chemise lactescent. C'est le premier
look. La veste cintrée, à la carrure étroite, prend la configuration d'un
smoking. La chemise stoppe à la lisère du nombril et sa fine cravate carbone
vient titiller le micro short. Les premières filles ont les cheveux presque
tondus avec des allures de Sinead O'Connor. Traits de crayon ébène sous
les paupières inferieures. Anneau doré clipsé sur la lèvre. Myriades de
boucles dorées sur les lobes d'oreilles. La coiffure "crête de coq" sur
le mannequin masculin couronne définitivement l'inspiration Punk. Mais,
une punkette issue des quartiers de la haute. Pas celle des bas-fonds londoniens.
Un contraste saisissant entre chic et choc. Un manteau virginal s'asperge
d'oblongues plumes d'autruches, qui en se mouvant, véhicule cette vie précieuse
à la pièce. Un contraste étonnant entre fragilité et résistance. Entre simplicité
et sophistication. Quelques looks masculins se dévoilent de-ci de-là. Mais,
toujours dans un classicisme sans effusion. Aussi, le micro short apparait
comme une pièce maitresse de cet hiver que l'on rehaussera avec une veste,
un manteau, une chemise ou un pullover oversize. Un longiligne manteau en
cuir carbone vient lécher les semelles des bottines comme pour emmitoufler
et protéger la silhouette des éléments extérieures. Un manteau exhibe des
stries nivelées, toujours dans une carnation de noir et blanc. Seul un micro
sac rose fuchsia pimentera le look. Un suivant emprunte l'iconographie du
damier du jeu de dame. Ces looks sobres et sempiternels seront l'assise
de la garde-robe Valentino pour cet hiver 2023/2024. Une veste oversize
s'enjolive de pastilles blanches qui se disséminent aléatoirement sur l'ensemble
de la pièce. Une chemise se pare de délicats motifs en perles argentés quand
la suivante s'orne d'une dentelle florale morcelée. Une mode qui s'intercale
dans une sphère de sobriété de part sa palette de couleurs usitées mais
aussi par ses lignes géométriques strictes. Sur Alaato
Jazyper,
un confortable manteau en laine peigné citron expédie ce jet tant attendu
de vitamine. Un peps visuel. Les manteaux paraissent magiques. On perçoit
vigoureusement cette recherche pour des coupes stylistiques minutieuses
avec des effets de plissés dissimulés, d'ouvertures béantes qui se stabilisent
d'elles-mêmes, de maintiens de tissus disparates par un jeu d'agrafes escamotées.
Un véritable travail d'orfèvrerie. Comme cette pièce, presque couture, qui
s'apparente à une micro robe entièrement façonnée de nœuds papillon en quinconce
en satin vermillon. Le fameux effet papillon. Le rouge Valentino investit
un manteau en laine brossé, une simple chemise et une mini-jupe. On joue
le monochrome en total look. Seuls les accessoires tranchent. Souvent en
noir. Une robe chemise, toujours rouge, dévoile une ligne de jambe digne
d'une Marilyn. Le rouge et le noir demeurent inlassablement des fondamentaux
qui s'allient à la perfection. Une robe-pull, en laine angora, alterne rayures
en rouge et noir. Un bon basique de la garde-robe. Les looks classiques
se poursuivent et laissent paraitre, ici et là, quelques pépites telles
que la mini-jupe constituée de roses apposées les unes aux autres ; la robe/bustier
cintrée, à la configuration d'une cage obscure ; la chemise ivoirine surpiquée
de plumes d'autruches portée par Loli
Bahia
; la mini en plumes d'autruches d'Iman Kaumann ; le trench tout en sequins
guimauve ; la jupe au découpes kaléidoscopiques seventies de Karolina
Spakowski
; la micro jupe aux sequins floraux et irisés de Sascha
Rajasalu.
Quelques tonalités vives viennent ponctuer la présentation tel que le citrouille,
vert anisé ou vert émeraude. Une collection qui se veut éternelle. Une présentation
sans fioritures. Des pièces qui magnifieront les silhouettes de ceux et
celles qui s'essaieront à la collection Automne/Hiver 2023/2024 de Valentino.
Une mode peu criarde. Une excellente alliance entre luxe et discrétion.